Parmi toutes les personnes ayant contribué à l’élaboration des moyens de protection français, il en est une qui joua un rôle essentiel. Il s’agit bien sûr de Paul Lebeau, à qui l’on doit l’ensemble des mesures de protection individuelles contre les gaz de combat. Le 19 décembre 1868, naissait Paul, Marie, Alfred Lebeau. Issu de milieu modeste, son père était marchand-tailleur, il passait son enfance dans son village natal de Boiscommun, dans le Loiret. Après avoir acquis son certificat d’études, il se présentait, sous l’impulsion de son instituteur, à l’examen d’admission de l’enseignement primaire supérieur à Orléans, qu’il réussissait brillamment. En 1885, à 17 ans, il passait le concours d’entrée à l’École de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris. Il en obtenait le diplôme trois années après. Il débutait alors dans la recherche au sein d’un laboratoire de l’école, puis entrait, grâce à son ancien patron, dans l’équipe de chercheurs de Moissan, à l’École supérieure de pharmacie. Tout en y travaillant, il accomplissait son stage officinal d’une durée de trois ans, sa scolarité officinale, trois années également, puis sa licence et enfin sa thèse. En 1898, il obtenait le Doctorat ès sciences physiques, et en 1899, l’Agrégation de pharmacie. Vers 1900, son maître de recherche, Moissan, était nommé à la Faculté des Sciences et emmenait avec lui à la Sorbonne Paul Lebeau, qui était devenu son chef de laboratoire. Moissan devait décéder subitement le 20 février 1907 d’une infection hépato-intestinale, et Lebeau qui aurait dû succéder à Moissan laissa la place à Henry Le Chatelier. En 1908, il revenait à l’École supérieure de pharmacie, où il était nommé à la Chaire de toxicologie. A la mobilisation en août 1914, Lebeau avait 46 ans et était exempté de service actif. La majeure partie de ses collaborateurs furent mobilisés. Après les événements du 22 avril 1915 (première attaque par vague sur Ypres), Weiss, alors à la tête de la Section des études et expériences de la Commission des gaz asphyxiants, fit appel aux connaissances de toxicologie de Lebeau. Il réclamait alors ses anciens élèves et collaborateurs aux armées, et mit à nouveau sur pied son laboratoire qui allait désormais se charger de la protection individuelle. Il allait s’occuper également d’un laboratoire d’analyse des viscères d’hommes intoxiqués, en collaboration avec le professeur Mayer du collège de France. Après les balbutiements et les premières mesures de protection adoptées, Lebeau allait prendre une place de plus en plus importante dans les études de protection. En premier lieu, il allait élaborer la solution de ricin-ricinate qui serait retenue le 26 juillet 1915 comme protection contre les lacrymogènes. Convaincu de l’intérêt de l’utilisation de gaze plutôt que d’étoupe comme support pour les produits neutralisants, il sera l’instigateur du changement de l’étoupe pour la gaze. Il entreprendra à partir d’août 1915 des recherches sur le type de gaze à utiliser (largeur des mailles, nombre d’épaisseur de gaze) et sur les solutions d’imprégnation. De nombreux essais réalisés sur les neutralisants, avec la collaboration de ses élèves, seront menés dans son laboratoire pour aboutir à la mise au point des solutions d’acétate basique de nickel et de sulfanilate de soude. La majeure partie des expériences menées, avec les huiles lourdes de houille, sur la polyvalence des cagoules, seront réalisées également à l’Ecole supérieure de pharmacie, par son équipe. Dès octobre 1915, il proposait la substitution des compresses C2 et C3 par sa formule à la Néociane qui devait être adoptée le 16 novembre. La constitution des appareils T, TN, TNH, LTN ainsi que la transformation des tampons P2 en masque T sont, en partie, le fruit de son travail. Persuadé de l’intérêt de substituer les lunettes et le tampon par un appareil complet, il sera l’instigateur de l’adoption du M2. D’ailleurs, à partir de 1916, la majeure partie des études menées dans le domaine de la protection individuelle seront réalisées dans son laboratoire. L’aboutissement en sera la sortie de l’ARS durant l’année 1917, avec la mise au point des charbons absorbants (l’ARS sera jugé comme le meilleur des masques par tous les spécialistes internationaux). Il élabora encore les filtres contre arsine, et ses études permettront de rendre plus efficaces les appareils Tissot. Il participa également à toutes les recherches inhérentes à la protection : étude des appareils de protection ennemis, de leur constitution et de leur polyvalence, étude de la capacité restante des appareils de protection français après une attaque toxique, essais et mise au point de détecteurs de gaz, etc. Après l’Armistice, il continua, outre son travail de recherche de l’avant guerre, a être conseiller de la Défense nationale et poursuivit ses recherches sur la protection au sein de l’IEEC. En 1939-1940, il faisait partie de l’Etat-major de la défense contre les gaz. Pour les services apportés à l’armée et à la nation, il fut nommé au grade de Chevalier de la Légion d’honneur en 1917, puis Officier en 1921 et enfin Commandeur en 1948. A cette occasion, le général Dassault, Grand chancelier de la Légion d’Honneur, déclarait : « On peut dire sans exagération que vous avez puissamment contribué à la victoire de 1918 : vous avez en effet sauvé notre armée d’un terrible danger (…), et vous lui avez fourni les moyens d’une riposte éclatante ». Paul Lebeau s’éteignit en 1959, dans sa 91e année
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