Les cloches font parler d'elles

Copie intégrale d'un article paru dans le Courrier du Loiret en septembre 2003

Arrêtez vos sonneries !
Faut-il laisser les cloches sonner la nuit ? Non, répond un couple d'habitants de Boiscommun qui vit mal l'abondance de sonneries nocturnes….


     Plusieurs infos sur le sujet sur France Bleu, une brève dans le Parisien, les cloches de Boiscommun ont touché la semaine dernière un auditoire plus large que leur public habituel…Mardi 23 septembre, le tribunal administratif d'Orléans examinait la requête d'un couple d'habitants de Boiscommun demandant que les sonneries soient arrêtées durant la nuit. Peut-on classer cette affaire dans la même catégorie que les procès intentés par ceux qui s'installent à la campagne et portent plainte contre les voisins qui ont un coq ? Les cloches de Boiscommun sonnent-elles plus fort qu'ailleurs ? Nous avons eu envie d'en savoir davantage…

     Selon l'article du Parisien, les cloches de Boiscommun sonnaient 1056 coups par 24h. Pour être exact M. et Mme Amalric en ont comptabilisés 1179 : deux coups pour les quarts d'heure, quatre pour les demi-heures, huit pour l'heure avant de sonner à deux reprises le nombre de coups correspondant à l'heure, soit à minuit 8+12+12=32 coups. L'angélus, à 7h35 et à 19h est annoncé de 9 coups préliminaires, puis de 120 coups consécutifs. 

     Si les chiffres sont impressionnants, les habitants de Boiscommun ne semblent pas être incommodés par cette profusion de sonneries qui rythment avec la plus grande régularité leurs journées mais la nuit c'est autre chose, certains reconnaissent qu'il leur est parfois difficile de s'endormir ou de se rendormir…

     C'est le cas de M. et Mme Amalric les habitants d'une maison située rue de l'Hôtel de Ville à Boiscommun. Dans cette ancienne demeure achetée il y a onze ans, ils ont fait tous les travaux nécessaires pour vivre confortablement. Les chambres donnant initialement sur la rue, ils ont réorganisé l'espace pour qu'elles donnent sur le jardin, mais ils n'avaient pas pris en compte la proximité du clocher. " Nous avons d'abord parlé au maire, puis nous lui avons écrit. La question a été examinée devant le conseil municipal mais nous n'avons pas eu gain de cause. On nous répond que c'est la tradition, mais la tradition a bon dos ! Vous croyez vraiment que lorsqu'on sonnait les cloches à la main, il y avait quelqu'un pour sonner tout les quarts d'heure et toute la nuit… On nous a aussi répondu que c'était pratique pour savoir l'heure quand on avait des insomnies. Nous, ce sont les cloches qui nous en donnent… Dans les environs, nous avons compté 35 villes et villages dont les clochers reste silencieux la nuit comme à Chemault et dans plus de la moitié des communes du canton. Cet été, pendant la canicule, il était impossible d'ouvrir les fenêtres. Nous avons une fille, des amis qui ne veulent plus venir à Boiscommun parce qu'ils ne ferment pas l'œil de la nuit. Beaucoup de gens sont gênés et la plupart n'osent pas le dire, c'est aussi pour eux que nous avons décidé d'engager une procédure. "

     En juillet 2002, M et Mme Amalric ont demandé à une société d'expertise de mesurer le bruit de l'intérieur de la maison, les conclusions du rapport sont claires : le niveau est de deux à trois fois supérieur au seuil à partir duquel on peut considérer le bruit comme une nuisance. L'affaire ne présentant pas de caractère d'urgence, la question vient seulement d'être examinée, le jugement a été placé en délibéré. Permettra-t-il de trouver un terrain d'entente ? A suivre …

 


La fin des 32 coups de minuit de Boiscommun
LE MONDE | 11.01.06 | 13h30  •  Mis à jour le 11.01.06 | 13h30
ORLÉANS CORRESPONDANT RÉGIONAL

adis on l'appelait la "cathédrale" du Gâtinais. Les rois de France venaient y faire leurs dévotions, avant d'aller courir le sanglier dans la forêt d'Orléans. L'église Notre-Dame de Boiscommun (Loiret) s'élance fièrement au-dessus de ce petit bourg d'un millier d'habitants. Depuis le mois d'octobre 2005, les cloches de l'édifice sont condamnées au silence entre 19 h 30 et 7 heures du matin. La cour d'appel administrative de Nantes a ordonné, le 6 mai 2005, qu'il soit mis fin aux sonneries nocturnes de l'église, à la suite d'une requête d'un couple de résidents de la commune dont le sommeil était perturbé.

"Une église sans cloches, c'est comme une voiture sans roues. Cela rythme la vie du village. Déjà qu'il est un peu triste !", dit Yves, qui joue aux fléchettes dans le bar du centre du bourg. "Je ne suis pas hypercroyante. Mais une église, c'est un endroit qu'on doit respecter. Un clocher, c'est symbolique. Si cela se répète dans les autres communes, il va y avoir des procès partout !", estime Isabelle, la patronne du bar. Le village est consterné. Une pétition, déposée sur le comptoir des commerçants, réclame le retour des cloches nocturnes. Elle n'a pas tardé à se remplir de noms.

Les deux riverains dérangés dans leur tranquillité avaient sollicité un cabinet d'experts. Ce dernier, consciencieux, s'est livré à une comptabilité minutieuse. Additionnant les sonneries "civiles", pour donner l'heure, et "religieuses" — l'annonce, entre autres, des trois angélus quotidiens à 7 h 30, 12 h et 19 h —, il a dénombré pas moins de 1 179 coups de carillon par 24 heures. Entre 19 h 30 et 7 heures du matin, le clocher se mettait en branle 400 fois. Les 12 coups de minuit se traduisaient en fait par 32 coups. De quoi déstabiliser le plus résistant des dormeurs.

En 2003, le tribunal administratif d'Orléans avait débouté les deux plaignants. Mais la cour d'appel administrative de Nantes leur a donné raison, en ordonnant l'arrêt des sonneries nocturnes. Le jugement n'étant pas suspensif, la commune a dû appliquer la décision sans tarder, faute de quoi elle risquait de se voir infliger une pénalité de 50 euros par jour de retard. Elle a été condamnée en outre à verser 1 500 euros au couple de requérants.

Le maire, Michel Grillon (UMP), a introduit un recours auprès du Conseil d'Etat : "Nous irons jusqu'au bout. Nous ne pouvons pas arrêter une tradition pour satisfaire deux personnes qui, en plus, ne résident pas en permanence dans la commune. Presque tous les habitants ont signé la pétition. Ils sont attachés à leur église et au rythme de ses cloches. Avant, la nuit, on savait où on en était. A présent, cela me fait tout drôle !"

"A quand remonte cette "tradition" ?", interrogent Christian et Chantal Amalric, les "trublions" de la commune, de paisibles retraités. "Veut-on nous faire croire que, depuis le XIIe siècle, un carillonneur tirait la corde jour et nuit tous les quarts d'heure pour informer la population de la marche du temps ? Non, cette pratique remonte simplement à l'installation d'une machinerie électronique, bien contemporaine", assurent-ils. Ils qualifient de "devoir civique" le combat qu'ils mènent. "Le maire ne veut pas appliquer la loi sur le bruit. Il a mobilisé la population contre nous. Nous votons dans la commune, nous ne sommes pas des résidents secondaires", expliquent-ils. Ils assurent : "Aucune considération religieuse n'a guidé notre démarche."

Le Père Doublier, qui assure le service religieux à l'église, estime qu'il n'a "pas à intervenir, parce que les cloches ne sont pas la propriété de la paroisse. C'est le problème du conseil municipal". Selon lui, un certain nombre de communes environnantes ont déjà pris la décision d'arrêter leurs cloches pendant la nuit pour ne pas nuire au sommeil de leurs administrés. "Pourtant, affirme-t-il, des cloches qui sonnent, pour des personnes âgées ou qui dorment mal, cela signifie que la nuit avance. C'est une forme de présence."


 
Régis Guyotat
Article paru dans l'édition du 12.01.06

 


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Société

Boiscommun divisé par une vraie querelle de clocher
Un couple du Loiret a obtenu de la cour d'appel administrative que les cloches de l'église proche de sa maison ne sonnent plus entre 19h30 et 7h30.

Par Mourad GUICHARD
samedi 14 janvier 2006


Boiscommun (Loiret) envoyé spécial

christophe, 35 ans, piercings apparents, est propriétaire d'une maison face à l'église de Boiscommun. «Moi, j'ai signé la pétition deux fois.» Il n'a aucun regret et ne comprend pas pourquoi ses voisins, Christian et Chantal Amalric, deux retraités installés depuis une quinzaine d'années, ont demandé et obtenu par un jugement du 6 mai 2005, l'arrêt des cloches entre 19 h 30 et 7 h 30. Comme une majorité d'habitants, il est signataire d'un texte dénonçant cet arrêt de la cour d'appel administrative de Nantes. Le maire, qui a entendu l'appel de ses ouailles, vient de déposer un recours devant le Conseil d'Etat.

«J'ai acheté ma maison en connaissance de cause. Les cloches d'église, c'est l'âme d'un village», dit Christophe. Au comptoir du bar-tabac l'Escale, les avis sont unanimes : «Les sonneries nocturnes existent depuis toujours.» «On aime bien ça», renchérit Isabelle, une jeune mère de famille. Qui tempère néanmoins l'importance du conflit : «Mais bon, que les cloches s'arrêtent la nuit, ce n'est pas un drame.» Mais voilà, les Amalric sont sûrs de leur bon droit : la nuit, le tapage nocturne, même s'il est de nature sacrée, est interdit.

Procédures. Le couple reçoit dans la vaste cuisine de la maison, un ancien presbytère situé à une trentaine de mètres de l'église Notre-Dame, fierté locale du XIIe siècle. Christian Amalric, ancien capitaine d'industrie, maîtrise les procédures contentieuses. Chantal, son épouse, se tient en retrait : «Notre démarche ne vise pas à interdire les sonneries religieuses. Simplement, nous demandons que la loi sur le bruit soit appliquée. C'est tout.» Au coeur du dossier, la fréquence des sonneries et la remarquable intensité des carillons. Une étude du cabinet spécialisé Socotec, diligentée par les Amalric, dénombre pas moins de 1 179 coups journaliers avec, la nuit, un carillon dépassant de sept fois les normes de bruit autorisées.

Tradition. A ces données implacables, Michel Grillon, maire de Boiscommun et conseiller général depuis un quart de siècle, oppose la tradition : «Les cloches font partie de la vie du village. Si demain le clocher leur faisait de l'ombre, pourquoi ne pas demander sa destruction ?» Aujourd'hui, le voilà fort d'une pétition initiée par quelques habitants et qui aurait recueilli 600 signatures, sur une population de 1 045 âmes. «Cette pétition a été téléguidée par le maire, via quelques dames patronnesses, rétorque Christian Amalric. Michel Grillon détient tous les pouvoirs. C'est un potentat local. Qu'un simple habitant lui tienne tête après vingt-cinq années de pouvoir absolu, cela lui est insupportable. Il en fait une affaire personnelle.»

En juillet 2002, les époux avaient tenté de négocier avec le maire. Sans succès. Ce dernier s'en explique : «Pourquoi voulez-vous que j'aille, avec mon conseil municipal, à l'encontre de la volonté de la quasi-totalité des Boiscommunois ? Si la maison et son environnement sonore ne leur plaisaient pas, il ne fallait pas acheter.» Marc, un commerçant de 35 ans, use de drôles d'arguments. «Dans un village, les cloches, c'est normal. Ce sont nos fondements religieux. Par contre, qu'il y ait un minaret dans la ville voisine de Pithiviers, ça, ce n'est pas normal !» Autre grief avancé par le maire et une partie des opposants à l'arrêt des cloches : «Ces gens ne sont pas d'ici.» Réponse de Christian Amalric : «Il faut produire un arbre généalogique aujourd'hui pour faire respecter la loi ? Nous payons nos impôts sur la commune, nous sommes inscrits sur les listes électorales et passons en moyenne 220 jours par an à Boiscommun.»

Courriers. Lancés seuls contre tous dans cette bataille juridique, les Amalric ne déplorent pourtant aucune marque de franche hostilité. Deux coups de téléphone et quelques lettres anonymes, tout au plus. «Nous avons envoyé un courrier à tous les habitants pour leur expliquer notre démarche. Je crois que cette initiative a été payante.»

Le carillon de l'église est maintenant dans les bras du Conseil d'Etat, qui étudie la recevabilité de la requête. «S'il le faut, nous irons jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme», lâche Christian Amalric, fort d'une jurisprudence du 16 novembre 2004, qui a donné raison à une habitante de Valence, en Espagne, en guerre depuis dix ans contre les nuisances sonores d'une boîte de nuit.

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